Portant un intérêt particulier à la vie de tout les jours, aux clichés de notre quotidien, que j’ai souvent abordé dans mon travail je propose dans ce mémoire d’engager une réflexion sur la modification de notre environnement urbain construit, zones industrielles dans les banlieues des grandes villes, agglomérations commerciales, espaces ni naturels, ni urbains. Nous montrerons ainsi l’apparition de ces nouveaux paysages qui se construisent et accompagnent le changement radical de notre mode de vie ainsi que la représentation artistique de ces lieux et non-lieux. Afin d’étudier la représentation du paysage urbain contemporain dans le travail des artistes-photographes Jeff Wall et Axel Hütte, nous aborderons tout d’abord les notions de lieu et non-lieu (selon la définition de l’anthropologue Marc Augé[1]) ainsi que celle de paysage urbain ou naturel. Nous essaierons d’évaluer les changements survenus dans notre environnement urbain et naturel au cours des dernières décennies.
Nous analyserons ensuite le travail d’Axel Hütte et Jeff Wall, deux artistes emblématiques de la photographie des années 80-90 et
comparerons leurs approches du paysage urbain ainsi que celle présentée dans la série de photographies de plages abandonnées que j’ai réalisée à Ostia en 2000-2001. Les grands tirages subjectifs et romantiques de Hütte, paysages industriels ou passages souterrains sont « humanisé » par le regard de l’artiste. Jeff Wall exprime la brutale réalité de ces « non-lieux » en les utilisant comme arrière-plan pour ces histoires. Ajoutant toujours une information importante, un détail, à la scène ou aux caractères des personnages ils se dégagent de ses photographies une forte réalité sociale. Nous chercherons ensuite dans ma série de photographies « Ostia », qu’elle représentation du non-lieu a proposé, et nous les comparerons aux œuvres de Hütte et Wall.Nous nous interrogerons sur la possibilité ou non de contrôler les changements radicaux qui s’opèrent dans notre environnement urbain, à savoir ces nouvelles parties des villes, non historiques, construites à des fins de consommation et de circulation ? Comment présenter ces paysages urbains, quel vocabulaire critique ou esthétique utiliser, quelles sont les idées avancées par les artistes. Comment photographier le lieu et le non-lieu, quel peut être le rôle du photographe ? Nous ne sommes pas ici uniquement dans une problématique artistique, mais aussi dans un questionnement touchant l’urbanisme et l’architecture et abordant des problèmes sociaux et politiques. Les artistes présentés proposent chacun quelques pistes de réflexion, quelques réponses possibles.
Les arrière-plans de Jeff Wall sont effrayants et inhumains, mais pour les personnages évoluant dans ce décor, ces paysages apparaissent comme leur environnement naturel et sont par-là même acceptable. Hütte de son côté est capable d’apercevoir la beauté de champs abandonnés, il les photographie, comme des frontières harmonieuses entre les différentes zones.


Parfois la limite entre lieu et non-lieu est infime ou du moins fluctuante. Le regard d’une personne ou d’une autre modifiera la terminologie de l’espace envisagé : ainsi un terrain est défini comme abandonné ou utilisable suivant l’observateur. D’autre part le passage de l’état de lieu à celui de non-lieu (et vice et versa) est un danger qui guette chaque espace : passer de manière temporaire ou définitive, du statut de lieu de vie à celui de friche, d’espace de circulation à celui de « stationnement » (résidence ou habitation).

La notion de temporalité tient donc une place centrale dans notre questionnement sur la représentation des paysages urbains. Les non-lieux d’Axel Hütte semblent rester en dehors de la question du temps ; ils montrent l’éternité ou le temps arrêté. L’artiste offre une vision d’espoir : nous pouvons transfigurer ces lieux abandonnés et les faire apparaître beaux. Les figures de Jeff Wall ne rêvent même pas, même plus d’être dans un lieu confortable. Elles vivent dans un passage – physique et géographique – dans un no man’s land, un non-lieu en marge de la société. Wall n’offre pas le moindre espoir, ces lieux sont construits comme des lieux de passage éternel, irrémédiablement. Dans mon travail sur les plages abandonnées en Italie, ces non-lieux sont temporaires : nous savons qu’en été la plage vide reprendra son identité, sa fonction : les hommes à nouveau déferleront en masse, les restaurants réouvriront. Ainsi dans mes images le passage entre lieu et non-lieu est chaque année effectuée, comme un rite immuable. Nous ne sommes pas dans la vision réaliste et désillusionnée de Wall.

[1] Augé, Marc : Le non-lieu. Introduction à une anthropologie de la surmodernité, La libraire de XXe siècle, éd. du Seuil, Paris, 1992