Il y a dix ans que j’ai commencé ma première série d’autoportraits, dans lesquels le regard fuit le spectateur. Sur tous les portraits rapprochés, je suis plongée, en apparence dans une activité qui entraîne mon attention en dehors du cadre, comme si l’appareil me surprenait, intervenait dans une scène intime. La première fois que j’ai réalisé des autoportraits j’ai cherché à enregistrer ma propre situation, mon visage, l’espace et l’état solitaire (comme on peut l’être lorsqu’on voyage). Mais les mesures plus grandes que nature, l’environnement minimaliste et artificiel, une atmosphère étrange avec des couleurs froides, bleu-gris, et surtout mon activité devant l’appareil donnent plutôt au spectateur le sentiment d’une petite histoire cohérente. Sur ces images j’ai été à la fois le personnage portraituré et la photographe, je suis moi-même l’objet et la main qui dirige la scène. Dans ces travaux (vidéos et photos) je construis des situations directes, très simples, quotidiennes. Au lieu des portraits profonds et "chercheur découvreur" je préfère ces petites histoires dans ma présence. Je forme les figures les plus impersonnelles, qui ont malgré tout un caractère d’autoprésentation. J’essaye d’utiliser les moyens minimaux et cela donne des pièces courtes: quelques photos ou des vidéos de quelques minutes. En général, elles sont faites d’une seule scène où l’on me voit dans un espace à l’atmosphère forte, me livrant à des activités banales. Ces situations tirées de la vie de tous les jours, avec un personnage quotidien sans tentations d’héroïsme, sont compréhensibles par tous. Cette simplicité frontale produit d’elle-même la tension et l’incertitude.